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Texte paru dans la revue Inferno Nο 3 (Été/Automne 2014)
1.- Nous vivons une “cris(i)ologie” généralisée: au niveau mondial, quelques millions de pages écrites dans toutes les langues sont consacrées chaque année à la crise, pour essayer de l’analyser, pour établir des diagnostics et pour proposer des solutions – remèdes à la crise. Dans cette inflation de l’écrit et des cris, le « cas grec» a une présence continue et permanente. Un vaste spectre de narratives et de discours considère la Grèce soit comme une victime de l’agressivité capitaliste, soit, selon la rationalité dominante dite économique et les règles géopolitiques, comme un pays “intraitable”. Si l’on décide de s’exprimer dans un esprit poétique , que reste-t-il à dire ?
2. Une première réponse poétique pourrait être le bruit éclatant du silence, une réponse-résistance peut-être trop facile. Une autre réponse consisterait à faire une analyse “technique/analytique” selon un champ scientifique (p.ex. financier ou économique), mais l’expertise présuppose un statut scientifique, pseudo-scientifique, ou quasi-scientifique et une pratique professionnelle liée aux mécanismes du fonctionnement (variant presque quotidiennement) du marché monétaire, pétrolier et autre. Or, il est difficile de discuter “poétiquement” de la turbulence actuelle qui règne au niveau local et global, au glocal, selon l’expression japonaise. En ayant comme référence le “drame grec” actuel, j’aimerais présenter quelques remarques et quelques photographies prises a partir les murs d’ Athènes avec l’ambition de tester les limites et d’exprimer, au nom de la poésie et de l’art, le cataclysme des événements qui forment la crise actuelle. C’ est a dire un collage des textes et des traces-murs,ou elles se retrouvent une approche poétique personnelle et une volonté collective d’ expression concernant le contexte socioculturelle hellénique. Voir aussi mes sites web : (http// :www.crisiology.org et http//: www.dgrafiotis.com ).
3.- Le mot “crise” en tant que tel est la preuve d’une ironie culturelle: c’est la langue grecque qui offre ce mot clef pour aborder la situation économique de la Grèce, de l’Europe et du monde entier. La langue grecque continue à fournir des outils pour approcher la réalité mais, en réalité, le mot crise – κρίσις (krisis) en grec – possède deux significations. La première est reliée au fait qu’une situation normale, physiologique soit perturbée, et qu’en conséquence un disfonctionnement s’y installe. La métaphore de la maladie et du corps souffrant peut être ici évoquée comme une parallèle paradigmatique. Cependant, une deuxième signification accompagne la première : le mot κρίσις signifie aussi la phase indispensable pour bien réaliser la πράξις (praksis) (l’acte humain). Car chaque fois, avant d’agir, nous devons établir un diagnostic, évaluer les solutions et les alternatives, choisir les objectifs en tenant compte des conséquences potentielles de nos actions et, en finale, prendre les décisions qui permettent d’atteindre le meilleur résultat possible. Cet ensemble de processus constitue essentiellement la deuxième signification du mot “κrisis” (crise), c’est-à-dire jugement. On constate donc que les deux sens du mot crise sont co-présents dans une situation, en donnant à la “crise – perturbation” (première signification) la possibilité de se dépasser par une “crise – jugement ” (deuxième signification). Cependant, dans le monde actuel, la première signification du mot est présente sans la deuxième, car lors du transfert des mots grecs et lors de leur transformation en termes scientifiques ou techniques, la deuxième signification a été pratiquement oubliée, d’où dérive la charge négative et opprimante du terme “crise”, en l’absence de l’aspect salutaire du même terme. On pourrait réclamer la réinsertion du deuxième sens lors de l’utilisation du terme “crise”, et lui rendre son identité en tant que mot polysémique et ambigu. C’est- à –dire que chaque fois que le mot “crise” est utilisé, on devrait pouvoir exiger que le “jugement” correspondant soit explicite.
Par ailleurs, cela pourrait nous amener à imaginer une solution possible au problème économique de la Grèce : selon la théorie économique, libérale ou ultralibérale, tous les outils et les instruments qui permettent aux acteurs sociaux de bien mener leurs activités économiques ont une valeur marchande-monétaire. Dans ce sens-là, le mot “crise” est aussi un outil (d’ailleurs très précieux, car il permet une construction de la réalité économique), et de ce fait, les Grecs devraient demander un droit d’usage pour l’utilisation de ce mot, une propriété intellectuelle du terme “crise”, une indemnité (un énième de la valeur de l’euro) à chaque fois que le mot est utilisé au niveau planétaire. On pourrait ainsi résoudre rapidement la crise économique grecque d’une façon hautement cohérente et surtout conforme à la tradition culturelle qui veut que la langue grecque offre à l’humanité des idées et des concepts qui jouent un rôle fondamental pour le meilleur fonctionnement des sociétés.
Selon cette approche de la “krisis”, à la fois “crise” et “jugement”, on pourrait jongler avec une hypothèse de type historico-culturel. Selon le dogme chrétien, au Jour du Dernier Jugement la justice serait accordée à l’humanité ; la crise actuelle serait-elle donc un prélude, ou un exercice de l’opération à venir lors de la parousie du Christ ? En d’autres termes, les sociétés vivent-elles actuellement la crise au nom du “dysfonctionnement” tout en refoulant l’idée du “Jugement (Dernier)” qui les guette?
4. Un art et une poésie afin d affronter la crise ? Un art et une poésie résistante à la crise ? Un art et une poésie concernant la crise ? Un art et une poésie comme un instrument de comprendre la crise ?
5. Un art et une poésie en crise ?
6 .Est-ce que la crise de l’ art et de la poésie ont procédées de la crise dite financière et économique ?
7.Finalement, « la crise » est – elle un écran qui couvre les turbulences du présent, sans permettre une diagnostique de sa nature ? La « crise » est une piège, et que les poètes et les artistes dans une stratégie intelligente doivent ils l’éviter à tout prix ?
8. Comment saisir l esprit poétique latent dans la perception de la «crise » des membres, des citoyens des sociétés frappées par la so- disant crise ?
9. Est-ce que la crise est le prélude d une révolte ? Ou, est-elle le mécanisme de son retardement ? Quel pourrait le rôle de la poésie et de l’art dans l accélération ou la non-accélération des processus socio-historiques ? Or, la poésie est incapable d’entrer dans ce domaine de recherche de sens, des émotions et des passions ? Est-elle capable, par contre, d aller au-delà de la lamentation et la tactique « bruitiste » élémentaire ?
10. D’où, le déplacement vers la cris(i)ologie , en utilisant le vecteur du questionnement comme outil de exploration et surtout de production du poétique.
Démosthène Agrafiotis
Poète, artiste intermedia